Office National de l'Huile
Bulletin de veille et d'information de l'Office National de l'Huile

24déc 2019

Huile d’olive: Le Brexit pourrait-il stimuler les exportations tunisiennes ?

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Le parti conservateur britannique, mené par le Premier ministre Boris Johnson, a remporté la majorité absolue1 au Parlement, loin devant les travaillistes, lors des élections du 12 décembre. Le Brexit devrait donc bien avoir lieu le 31 janvier 2020. Les électeurs britanniques ont tranché, après plus de trois ans de divisions et de déchirements autour de la sortie de l’UE. Ce «nouveau mandat fort (…) donne à ce nouveau gouvernement l’occasion de respecter la volonté démocratique du peuple britannique», qui a sans doute voté de guerre lasse et sans avoir jamais vraiment saisi toute l’ampleur économique et politique de cette décision historique et tragique.
La chance de Boris Johnson, « unique, exceptionnelle même, est d’avoir comme adversaire un homme qui fait l’unanimité contre lui. Un idéologue socialiste des années 1960-1970, antiaméricain, anticapitaliste, laissant une partie des travaillistes flirter avec l’antisémitisme de l’extrême gauche2. » Mais sa victoire, contrairement à ses affirmations, ne règle pas les problèmes du Royaume-Uni qui est loin d’être prêt pour le Brexit et ses conséquences.
Il va devoir maintenant s’atteler aux «priorités» des Britanniques, comme la santé, la sécurité et les infrastructures. Mais Boris Johnson devra aussi préciser quel type de relation il veut nouer avec l’Union européenne et le reste du monde.

Avec l’Union européenne
Il ne pourra longtemps faire croire aux Britanniques que leur avenir est de devenir un « Singapour sur la Tamise » et qu’ils pourront continuer à avoir un accès libre au marché de l’Union européenne tout en fermant leurs eaux territoriales aux pêcheurs européens. Il pourra certes jouer la carte du nationalisme. Mais il risque de ne rallier à sa cause que les Anglais. Les Écossais et les Irlandais du Nord ayant voté contre le Brexit, choisiront certainement le confort du statu quo européen à l’aventure du grand large et divorceront tôt ou tard d’une Angleterre qui ne serait plus dans l’Union. Un scénario catastrophe pour le Royaume, mais aussi pour l’Union européenne qui n’a aucune envie de voir une région autonome devenir indépendante, au risque de provoquer une contagion.
Si le Royaume-Uni adopte un « modèle commercial néo-zélandais » pour trouver des offres plus compétitives pour ses consommateurs, cela pourrait avoir un impact positif sur les exportateurs de produits agricoles qui ont rencontré de nombreux obstacles pour exporter vers les pays de l’UE, et notamment l’huile d’olive.
Le Royaume-Uni est actuellement fortement tributaire des importations de produits alimentaires, avec environ 27% de tous les aliments consommés au Royaume-Uni (en valeur) et 40% de tous les produits frais provenant de l’UE. Au total, 2016 a vu 47,5 milliards de livres sterling (180 milliards de dinars) de produits alimentaires et agricoles importés au Royaume-Uni, dont plus de 70% provenaient de l’UE. C’est un besoin que le Royaume-Uni lui-même ne peut pas satisfaire, avec seulement 164 000 hectares de terres cultivables.
Une fois sorti de l’UE, le Royaume-Uni entamera donc des négociations difficiles sur ce sujet, censées être conclues d’ici à la fin 2020. La tâche sera ardue, vu la complexité et la sensibilité politique du sujet. Il devra ainsi obtenir un accord à Bruxelles. Or, l’UE est déterminée à ne pas laisser la Grande-Bretagne partir avec un accord meilleur que l’adhésion, qui pourrait stimuler les populistes eurosceptiques ailleurs.

Avec les partenaires non européens
Le Royaume-Uni perdra le bénéfice des accords commerciaux passés par l’UE et ses partenaires à travers le monde. Or, entre les conditions de sortie de l’UE, la négociation de nouveaux accords avec elle et les conclusions de traités commerciaux avec les pays extérieurs à l’UE, le gouvernement britannique a prévenu qu’une bonne dizaine d’années pourraient être nécessaires pour mener à bien les diverses négociations ouvertes par un Brexit. Bref, le changement est acté, mais il sera long.
« Le succès du Brexit ne dépendra pas de l’Union européenne mais de notre capacité de commercer librement avec tous les marchés, y compris les plus petits d’entre eux », disait Dr Andrew Murrisson, nommé par Theresa May, émissaire au Commerce auprès de la Tunisie et du Maroc3, allant jusqu’à critiquer dans le même article, le système des quotas d’importation mis en place par la Commission européenne à Bruxelles, qui« restreint la liberté de choix du consommateur européen, accorde aux revendeurs européens ce privilège de vanter l’insularité européenne et offre la protection de l’ensemble européen contre son invasion par les marchés émergents se trouvant à ses frontières ». Une façon de séduire les Tunisiens pour signer un accord transitoire post Brexit en attendant de négocier un nouvel accord.
Le Royaume-Uni devra en effet conclure ses propres accords bilatéraux avec les pays qui accordent des préférences aux pays de l’UE afin de maintenir un accès préférentiel au marché. Un pourcentage non négligeable des exportations hors UE du Royaume-Uni risque d’être soumis à des droits de douane plus élevés de la part de pays comme la Turquie, l’Afrique du Sud, le Canada, le Mexique et le Japon.
L’incapacité de reconduire tous les accords commerciaux existants, ainsi que la perspective d’un Brexit sans compromis, défavorisent considérablement les exportateurs britanniques. Une nouvelle étude de la Cnuced (1) «The trade coast of a no-deal Brexit to the United Kingdom» revient encore une fois sur les conséquences d’une sortie de l’UE sans accord.
La banque néerlandaise Rabobank a indiqué qu’une solution pourrait être trouvée au Royaume-Uni en adoptant un «modèle commercial de style néo-zélandais», qui verrait l’élimination des tarifs d’importation des produits alimentaires, ouvrant ainsi le marché aux exportateurs hors d’Europe qui peut offrir aux clients britanniques des produits similaires à un prix plus avantageux.
L’un des domaines d’importation où cela pourrait se produire est l’huile d’olive, car les petits pays ayant une capacité d’exportation (comme la Tunisie) pourraient être la clé d’une source d’huile d’olive plus facilement disponible et à des prix compétitifs pour les consommateurs britanniques.
Si le Royaume-Uni décide d’adopter une approche plus libre du marché, cela pourrait constituer une mauvaise nouvelle pour les exportateurs d’huile d’olive de l’UE, qui perdront leur accès préférentiel aux acheteurs britanniques via un marché unique. Boris Johnson va certainement utiliser cela comme monnaie d’échange.
D’autres pays producteurs d’huile d’olive, tels que l’Australie, pourraient également bénéficier du Brexit, où les agriculteurs se sont plaints auparavant que les exigences strictes en matière d’étiquetage et de commercialisation pour l’exportation d’huile d’olive (ainsi que les subventions et la protection tarifaire des produits européens) rendent la vente sur le marché de l’UE une gageure.

Avec la Tunisie spécifiquement
Les relations commerciales actuelles du Royaume-Uni avec la Tunisie sont régies par l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la Tunisie, d’autre part, et par le protocole entre l’Union européenne et la République tunisienne instituant un mécanisme de règlement des différends applicable aux différends relevant des dispositions commerciales de l’accord d’association UE-Tunisie, dénommés ensemble les accords UE-Tunisie. L’accord d’association UE-Tunisie définit également le cadre de la coopération politique, économique, sociale et culturelle entre l’UE et la Tunisie. Il a été signé en 1995 et est entré en vigueur en 1998. Le protocole du mécanisme de règlement des différends UE-Tunisie couvre les mesures visant à éviter et à régler les différends découlant des dispositions commerciales de l’accord d’association UE-Tunisie et est entré en vigueur en 2011.
Anticipant le Brexit, les ambassadeurs respectifs de Tunisie et du Royaume-Uni ont signé, pratiquement en catimini, le 4 octobre 2019, à Londres, un « accord de continuité commerciale et politique4 ». Cet accord est en fait un nouvel accord de libre-échange sans aucune concession britannique, ni en termes d’accès au marché, ni en termes de mobilité, notamment pour les fournisseurs de services, ni en termes de coopération. Il est calqué sur les dispositions des accords UE-Tunisie, et intègre toutes les mesures de protection du marché agricole de l’Union européenne. Ainsi, dans le chapitre 9, article de l’annexe 1 de l’accord concernant les dispositions applicables aux importations des produits agricoles tunisiens, il est spécifié :

Cet Accord doit encore être approuvé par le Parlement tunisien, le Parlement britannique l’ayant déjà ratifié.

L’accord de continuité commerciale et politique entre la Tunisie et le Royaume-Uni doit être revu
Le Royaume-Uni gagnerait effectivement à importer directement l’huile d’olive tunisienne, comme l’écrivait Andrew Murrisson. Mais cela a peu de chance d’advenir, car les négociateurs britanniques n’oseront pas fâcher leurs homologues du Sud de l’Europe.
Le système de protection concernant l’huile d’olive est particulièrement complexe, puisqu’il fait appel à deux quotas, annuel et mensuel, lesquels ne peuvent être « activés » que par une demande émanant d’un importateur européen. De plus, ces quotas ne concernent pas les huiles conditionnées et permettent aux producteurs/exportateurs du Sud de l’Europe d’importer l’huile tunisienne en vrac et à faible valeur ajoutée, laissant ainsi une large marge pour les opérations européennes de mise en bouteille et de marketing à forte valeur ajoutée. La Tunisie, « partenaire privilégié » de l’Union européenne, est cantonnée à une faible marge dans un schéma archaïque de la Division internationale du travail.
Il y a fort à parier que les olives et l’huile d’olive nord-africaines resteront encore longtemps absentes sur les étagères des supermarchés du Royaume-Uni au profit des huiles italiennes principalement.
Le Royaume-Uni étant sur le point de quitter l’Union européenne, sa politique commerciale sera probablement adaptée pour mieux refléter ses priorités nationales. Une étude préparée par la CNUCED5 se concentre sur les changements possibles dans la structure tarifaire du Royaume-Uni que le Brexit pourrait apporter. Les résultats de cette étude indiquent que les changements dans les conditions d’accès au marché britannique pourraient avoir des conséquences importantes pour certains pays en développement et parmi eux la Tunisie, avec une perte estimée à 150 millions de dinars. Il est donc impératif de pallier ces pertes en révisant l’accord de continuité commerciale et politique pour obtenir quelques concessions d’un montant au moins égal à la perte estimée.

Source: https://www.realites.com.tn


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